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Carmen et Teo d'Olivier Duhamel et Delphine Grouès

Dernière mise à jour : 9 oct. 2020

un portrait bouleversant de deux victimes de la dictature chilienne.


Editions Stock, 2020, 250 p.


Après le décès de Luis Sepúlveda, le souvenir de la dictature chilienne m’est soudainement réapparu. Et lorsque l’occasion s’est présentée de découvrir Carmen et Teo, je n’ai pas hésité. Ayant consacré mon mémoire de fin d’étude à la transition démocratique chilienne, je connaissais l’histoire de ce pays tout autant que les conséquences désastreuses engendrées par ce régime autoritaire.

Mais je n’avais jamais mis de nom sur les victimes ni écouté le récit de personnes ayant subi ses atrocités.


En comparaison de la restitution distante et purement factuelle des ouvrages de sciences politiques, Carmen et Teo offre un récit humain, poignant et revigorant à bien des égards.


Roman historique écrit à quatre mains, Carmen et Teo s’inspire de personnages réels dont les vies sont évoquées à partir d’une partition mêlant les faits à l’imagination de ses auteurs. Trente-deux chapitres introduits chacun par un titre incisif se suivront selon une trame chronologique fidèle en tout point aux événements marquants ayant chamboulé leurs trajectoires. De 1945 à la mort de Pinochet en 2006, Olivier Duhamel et Delphine Grouès dérouleront un tapis rouge vermillon pour la grande et la petite histoire en veillant bien à ne pas enfouir la seconde dans les méandres de la première.


Mais venons-en au commencement.


1945. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans une clinique confortable de Santiago, Carmen naît au sein d’une famille bourgeoise. Sa mère, Mónica lui donne vie la dans les meilleures conditions, au son du violoncelle de Bach. Cinq ans plus tard, au cœur du désert de l’Atacama situé à plus de deux mille kilomètres au nord de la capitale, Teo voit le jour dans une famille d’ouvriers. Sa mère, Atina, accouche seule dans la poussière de la mine toute proche. Une explosion vient d’avoir lieu. A peine le temps de nourrir son nouveau-né qu’elle doit porter son aide pour soigner les rescapés de la déflagration.


Les chemins qui les mèneront à l’âge adulte se déroulent dans des univers parallèles : venant de milieux si différents, quelles sont les chances pour que leurs routes se croisent ?


Carmen devient élève dans un collège strict et religieux où elle apprend la discipline. Mais déjà, et grâce au regard que portait sur le monde un certain père Mariano Puga, sa perception des autres s’affutera lorsqu’elle rencontre des enfants mapuches à l’occasion d’un stage d’alphabétisation dans la province de Temuco. Auprès de ce peuple si fier de ses traditions, Carmen apprend le respect vis-à-vis des plus faibles et sera frappée par la liberté émanant du père Mariano Puga. De son côté, obligé de quitter les mines de salpêtre avec les siens, Téo rejoint la capitale où il subit critiques et humiliation à l’école. Face à l’alcoolisme de son père et à l’impuissance de sa mère, il sombre peu à peu dans la nostalgie. Préférant la proximité de la nature de ses éléments, il choisit de s’isoler en attendant des jours meilleurs. Retrouver sa terre natale, son immensité et surtout son silence. Cette solitude est renforcée par l’absence de son grand-père aymara, son proche confident qui, malgré les mises en garde d’Atina, éveilla sa méfiance vis-à-vis de l’armée.



Plus tard, dans les années soixante, Carmen se rapproche de Beatriz Allende, en qui elle trouvera un guide et modèle. A l’université, elle rencontrera son cousin Andrés Allende, le neveu du futur Président. Rapidement, leurs destins se scelleront. Par leur amour, leurs valeurs partagées, leur engagement pour le Mir. Malgré les réticences de Carmen, ils se marieront. Mais leur bonheur sera de courte durée car Carmen tombera sous le charme de Miguel Enríquez, le jeune leader du Mir dont elle deviendra la compagne.


Pour Teo, le temps de l’engagement au sein du Mir est également venu. La nostalgie a cédé la place aux effervescences de l’attachement à une communauté ainsi qu’à ses discours révolutionnaires. Tandis que retentissent dans sa mémoire les paroles de son grand-père, le jeune homme se forme auprès de ses camarades les plus instruits.


Pour les deux protagonistes, l’élection de Salvador Allende en 1970 représentait une immense victoire, débouchant sur l’espoir de voir la société chilienne se transformer. Mais cette présidence, comme on le sait, fut des plus courtes. Suite au risque de contagion du communisme et de la gauche dans le reste du continent sud-américain, le putsch militaire ou golpe devait rétablir l’ordre d’une façon des plus brutales. Par l’interdiction des partis politiques, l’internement des opposants au régime dans des camps ou encore l’imposition d’un néolibéralisme pur et dur.


Tant Carmen que Teo subirent les effets de cet autoritarisme. Et le chapitre consacré à Teo est particulièrement bouleversant et émouvant. Mais au-delà de toute la violence subie, les auteurs parviennent à nous livrer pour chacun d’eux un portrait complexe et riche d’anecdotes. A aucun moment, les souffrances évoquées n’alourdissent le récit au point de rester figer sur les drames vécus. Au contraire, les nombreuses expériences évoquées par Olivier Duhamel et Delphine Grouès seront l’occasion de souligner la profonde résilience de leurs deux protagonistes.


Au fil de la lecture, qui nous propulse dans une autre époque pour revenir petit à petit à des temps plus récents, le cours du monde semble s’être arrêté. Une porte s’ouvre : le travail de mémoire s’enrichit d’un nouveau témoignage précieux.


Comme je l’ai souligné précédemment, cette immersion auprès de ces deux fortes personnalités peut être également revigorante tant ces parcours de vie décrits avec force et sensibilité nous offrent l’occasion de prendre conscience des ressources que sont capables de déployer certaines personnes face à l’adversité. Les derniers chapitres illustrent avec beaucoup d’empathie la façon dont Carmen et Teo se réinventeront, grâce au cinéma et à la musique tout en permettant de nous réancrer dans le présent.


Roman historique, sorte de biographie romancée, sa découverte est l’occasion de rencontrer deux personnages poignants qui ne laisseront pas indifférents et qui, à leur tour, resteront gravés dans notre mémoire.


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