Editions Les Escales, 2020, 254 p.
Avec Rivage de la colère, Caroline Laurent nous emmène dans une odyssée mêlant brillamment travail de mémoire et fiction romanesque.
Succès de la rentrée littéraire de janvier 2020, il me tardait de découvrir enfin l’histoire qui se cachait derrière le visage de la jeune femme à la fleur blanche. Il faut bien l’avouer, une fois n’est pas coutume, après la saga de Catherine Bardon et Les optimistes de Rebbeca Makkai, Les Escales publient un roman mêlant subtilement grande histoire et récit romancé pour notre plus grand plaisir. Enchevêtrant l'histoire de l'archipel des Chagos à une intrigue familiale finement orchestrée, Rivage de la colère revient sur l'un des épisodes méconnus de la colonisation britannique. Suite à l'indépendance de Maurice en 1967, les habitants de ce petit bout d'île situé dans l'Océan indien entre Madagascar et le Sri Lanka furent déplacés à Maurice du jour au lendemain par les autorités britanniques.
Trois destinées marquantes
A bord de l’avion le menant aux Pays-Bas, Joséphin Neymorin pense à sa mère disparue et au combat qu’elle a mené. Il n’aura pas été vain. De son hublot, il peut apercevoir la Tour Eiffel du haut de laquelle il aurait bien voulu pouvoir scruter le monde. Mais il n’aura pas le temps de se glisser dans la peau d’un touriste. Les pensées de Joséphin sont ailleurs, rivées sur la décision prochaine de la cour internationale de la Haye qui doit statuer sur le sort réservé aux exilés chagossiens de Maurice. Le cœur serré, il veut croire en ses espoirs.
1967 à Diego Garcia. Marie-Pierre Ladouceur travaille dans les plantations de coprah. Diego Garcia est situé dans un lagon magnifique mais ses conditions de vie y sont rudes. Sous tutelle de Maurice, ses habitants vivent essentiellement de la pêche et de l’huile de coco. Cette journée sera faste : le Sir Jules, en provenance de Port-Louis, leur apporte enfin des vivres. Les jours de ravitaillement sont l’occasion de faire une pause, de remplir les sacs à provisions tout en se vidant la tête. A son bord, se trouve également un nouveau venu. Dès qu’elle l’aperçoit, séduite, Marie ne peut s’empêcher de fixer son regard et d’attirer son attention. Mais l’inconnu est quelqu’un d’important, accueilli chaleureusement par l’administrateur de l’île en personne, Mollinart. Pas étonnant qu’il ne réponde pas à son sourire. Elle ne se fait pas d’illusions, le Mauricien ne restera pas longtemps à Diego Garcia. Qu’est-ce qui pourrait le retenir ici ?
Après un périple difficile, contrarié par une mer agitée, Gabriel Neymorin est soulagé de retrouver la terre ferme. La foule qui les accueille, lui et son équipage est imposante avec ses chants et ses rituels. L’arrivée de nouvelles denrées entraîne chez les habitants un enthousiasme auquel il ne s’attendait pas. Et lorsque la situation se bouscule lors du déchargement du bétail, il est bien soulagé de trouver le soutien de son hôte. Tandis que Mollinart lui présente les lieux, Gabriel, en tant que nouveau secrétaire, lui fait part des dernières nouvelles en provenance de Maurice. Elles sont assez inquiétantes : l’un des partis au pouvoir envisage de plus en plus sérieusement de voter l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni, mettant de la sorte en péril l’avenir de Diego Garcia.
Dans ce roman, Caroline Laurent, d'origine franco-mauricienne, a choisi de nous restituer l’histoire du peuple chagossien par l’intermédiaire de trois narrations différentes, trois destins en quête de justice ou de réparation.
Par ce procédé, elle parvient adroitement à nous restituer les étapes importantes de l’histoire de Diego Garcia et de sa population. Les faits sont durs et choquants, la lutte semble perdue mais ce récit, grâce à la présence de Marie, nous offre un bel exemple de détermination et de résilience. De son côté, Gabriel, rongé par la culpabilité, s’engage dans un long chemin de réparation auprès des siens. S’ils incarnent brillamment le passé, Joséphin, témoin du présent, nous relate d’une manière touchante et pleine de force la continuation du combat de sa mère. Lors de son voyage en direction de La Haye, il redonne voix aux absents et nous offre un regard émouvant et digne sur le peuple chagossien.
Outre l’exil, l’un des thèmes phare de cette fresque historique est la paternité et plus particulièrement la parenté. Les liens qui unissent nos protagonistes sont complexes et celui partagé par Joséphin et Gabriel est particulièrement bien développé et nuancé, nous offrant une épopée familiale aux multiples facettes.
Rivage de la colère est un roman à découvrir. Si tout comme moi vous avez hésité à entreprendre sa lecture lors de sa sortie, il mérite amplement sa place auprès de ses nouveaux concurrents de la rentrée automnale. Grâce à la plume énergique, précise et sensible de l’auteure, ce moment de lecture nous offre une parenthèse enrichissante et généreuse dans un quotidien assez bousculé.
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