Editions Les Escales, 2020, 352 p.
Quel plaisir de retrouver les protagonistes des Déracinés et de l’Américaine. Avec Et la vie reprit son cours, Catherine Bardon poursuit sa fresque romanesque consacrée à la communauté juive de Sosùa, cette petite bourgade de la République Dominicaine devenue le lieu de résidence de la famille Rosenheck suite aux vicissitudes de l’histoire.
Si les Déracinés illustrait brillamment l’exil et le déracinement de Will et Almah, l’Américaine la quête identitaire de leur fille Ruth, ce troisième opus nous mène sur les chemins de la maturité de Ruth tout en approfondissant un thème bien précis : le mal-être des enfants des survivants de la Shoah.
Cadre historique imposant, retrouvailles avec des personnages attachants, découverte de la nouvelle génération. Le tout saupoudré de détails disséminés ci et là en lien avec l’histoire des protagonistes ou propre à la grande Histoire, Catherine Bardon a le don une nouvelle fois de nous embarquer dans un récit dense et émouvant.
Nous retrouvons donc Ruth en compagnie de sa fille Gaïa. Déterminée et riche de ses différentes expériences new-yorkaise et israélienne, la jeune femme décide de s’installer définitivement en République Dominicaine. Ruth y retrouve les siens et choisit de poursuivre l’œuvre de son père Wilhelm en devenant journaliste à la Voix de Sosùa. Lors du carnaval de La Vega, elle fera la connaissance de Domingo qu’elle épousera lors d’une fête impressionnante qui réunira tout son petit clan et qui, déjà, nous permettra de redécouvrir son amie d’enfance Lizzie.
Lizzie, la fille d’Anneliese partie s’installer aux Etats-Unis. L’amie des premiers jours, membre des mousquetaires qui, plus tard, surfera sur la vague hippie, et ce, non sans prendre la tasse à force de s’adonner aux expériences psychédéliques de l’époque. Mais qu’est-elle devenue ? Choisira-t-elle tout comme Ruth de s’assagir en fondant sa famille ?
De son côté, Ruth continuera de s’affirmer et de se libérer de la tutelle d’Almah et de son frère pour devenir au fil des pages un pilier sur lequel ses proches pourront se reposer.
Une belle réinvention
Avec ce dernier roman, Catherine Bardon reste fidèle à la République Dominicaine tout en nous livrant le portrait d’une femme moderne prête à ouvrir les nouveaux chapitres de son existence. Comme dans ses romans précédents, l’auteure alterne chapitres courts avec une correspondance dont les auteur(e)s varieront au fil des chapitres. Ce procédé à le don de nous immerger de façon plus intime et de mettre en lumière le côté témoignage du récit bien qu’il s’agisse d’une fiction.
Cet opus enrichit les deux premiers tomes par bien des aspects.
Tout d’abord, la Ruth que nous retrouvons ayant fortement évolué par rapport à celle découverte dans l’Américaine, alors en quête de son identité, donne au récit une nouvelle dimension. Le sentiment de franchir une étape et de pouvoir commencer une nouvelle vie. Comme si se réinventer n’était pas une part illusoire de nos existences mais bien une de ses composantes essentielle.
Ensuite, retrouver Almah, le personnage auquel je m’étais le plus attaché, redonne un second souffle aux Déracinés. Sans rien dévoiler de l’intrigue, sachez que cette femme au caractère si particulier nous revient ici avec une nouvelle et belle histoire, en nous réinvitant dans sa jeunesse. Et enfin, la thématique sur laquelle s’attarde Catherine Bardon par l’entremise de Lizzie, à savoir le lourd héritage transmis par les rescapés de la Shoah. Cette expérience nous offre un contraste avec celle plus heureuse de celle de Ruth. Elle rend le récit certes un peu plus sombre mais également plus subtil et nuancé en confrontant les capacités de résilience de la première aux pulsions destructrices de la seconde.
Je terminerai en soulignant l’évolution des personnages secondaires, tels que Arturo, Nathan ou Deborah, toujours bien présents et offrant une belle continuité avec l’Américaine.
J’attends donc avec impatience le quatrième volet de cette fresque humaine que je referme aujourd’hui non sans une grande pointe de nostalgie.
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