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La femme révélée de Gaëlle Nohant : un roman puissant dans l'univers de la photographie.

Dernière mise à jour : 9 août 2020

Editions Grasset, 2020, 384 p.


Je vous propose aujourd'hui de continuer notre voyage à Paris et à Chicago avec le quatrième roman d'une auteure dont l'écriture m'a séduite dès les premières pages. Il s'agit de La femme révélée de Gaëlle Nohant. A nouveau, je remercie Netgalley France et les Editions Grasset en me donnant l'occasion de découvrir cet ouvrage.


En le commençant, j'ai cru que j'aurais un immense coup de cœur pour ce portrait de femme libre et forte. Mais certains éléments m'ont un peu déçue et ce, malgré la plume dense et fine de l'auteure qui a le don de nous plonger dans une ambiance particulière, oscillant entre force et nostalgie.


Paris. 1950. Eliza Bergman n’est plus. De nouveaux papiers en poche, Eliza doit désormais assumer sa nouvelle identité : elle sera désormais Violette Lee. La véritable Violet était également née à Chicago, à quelques mois d’intervalles de la naissance d’Eliza, il y 31 ans.


Pendant qu’Eliza menait la grande vie auprès de son époux, il devait en être tout autrement de Violet pour être décédée si prématurément.


Mais le bonheur d’Eliza fut éphémère. Son mariage se détériorant au point de devoir fuir. Fuir Chicago et la violence de son mari Adam Donnelley, entrepreneur immobilier important et père de son fils Martin.


Assise dans la chambre de son hôtel parisien piteux, Violet fait le point sur sa vie. Elle se remémore les souvenirs de sa longue traversée la conduisant au port du Havre, l’attente interminable dans les gares pour rejoindre Paris. Ses quelques bijoux lui permettront de survivre quelques temps mais ils se vendront sûrement rapidement et bien en deçà de leur valeur réelle. La précieuse photographie de son fils et son Rolleiflex sont les seuls autres biens qu’elle a réussi à emporter. Mais ils sont d’une toute autre valeur, de celle qui n’ont pas de prix.


Le Paris d’après-guerre est gris et ténébreux. Un Paris tellement différent du Chicago qu’il l’a vue grandir dans un milieu conformiste. Un milieu qui la poussera à devenir une épouse fidèle et prévenante. Un Paris à l’architecture bien alignée dont les monuments et plaques commémoratives ne cessent de célébrer son histoire. Un Paris qui contraste avec un Chicago qui se glorifie de ses gratte-ciels, le regard tourné définitivement vers l’avenir. Un Paris que Violet espère pouvoir un jour reléguer dans ses vieux souvenirs pour que Chicago redevienne un jour partie intégrante de son présent, tout comme son fils Martin.





Equipée de son Rolley, Violet se sentira plus forte et plus confiante afin d'affronter les rues de Paris où elle n’est encore qu’une étrangère, une exilée comme le fut son père à une autre époque. Un père humaniste et capable de lui transmettre une certaine vision du monde. Outragé par la condition des afro-américains, Arthur Bergman apprendra à sa fille à regarder de face l’injustice. Ce n’est donc pas un hasard si ce médecin devenu sociologue lui offrira son premier appareil photo.


Imprégnée de l’expérience de son père, Violet tentera de se familiariser avec son nouvel environnement en endossant le rôle de reporter-photographe. En quête de visages, d’expressions, elle tentera d’apprivoiser ces regards inconnus qui peuplent la capitale française. Elle se fera également engagée comme nourrice par un couple de Français qui aurait préféré donner cette place à une demoiselle anglaise de bonne réputation.


Au fil de ses rencontres et de ses mésaventures, comme le vol de ses affaires à son hôtel, Violet prendra ses marques, se liera avec Rosa, une prostituée, et Brigitte, une autre pensionnaire du foyer dans lequel Violet trouvera refuge. Alors que ce trio déjanté se retrouve un soir dans un club de jazz, Violet y fera la rencontre d’un certain Sam Brennan. Tout d’abord méfiante, les discours bienveillants de Sam parviendront peu à peu à la séduire. Mais qui se cache derrière ce personnage mystérieux ?


Dix-huit ans plus tard, alors âgée de presque cinquante ans, Violet est de retour à Chicago. Le monde est en ébullition. Les marches défendant les droits civiques ont traversé l’Amérique. Martin Luther King Jr. et John Kennedy ont été assassinés. La convention démocrate bat son plein tandis que des jeunes se mobilisent contre la guerre au Vietnam et appellent à la désobéissance civile. Malgré ces événements, Violet, devenue reporter-photographe, tentera de reprendre contact avec les siens et de renouer avec son fils.


Une photographe en quête de liberté


La femme révélée est un roman dense, écrit avec beaucoup de subtilité. Gaëlle Nohant a pris le parti de nous le conter à la première personne, afin de mieux incarner son personnage et c’est un choix plutôt judicieux. Parée de ses secrets et de son lourd passé, Eliza alias Violet est une personnalité complexe à laquelle je me suis immédiatement attachée. Les premiers chapitres sont saisissants tant ils parviennent à nous immerger dans une ambiance particulière. Telles les anciennes photos d’un album, les scènes se succèdent mais lentement, comme si l’auteure cherchait à nous donner le temps de nous imprégner de l’aura de son personnage et des mystères qui l’entourent.


La première partie du roman m’a littéralement envoûtée. J’ai aimé suivre Violet dans ce Paris d’après-guerre où elle aurait pu tomber sur Boris Vian au café De Flore. Cette ville d’adoption où elle rencontre Sam, personnage inspiré de Nelson Algren, l’amant de Simone de Beauvoir. J’ai aimé l’accompagner dans les clubs de jazz, m’arrêter à ses côtés pour écouter Horatio jouer du piano. Et bien sûr redécouvrir Chicago, son métro aérien, le El, ses beaux quartiers et ses cités dortoirs.




La passion d’Eliza pour la photographie est certainement l’atout majeur de La femme révélée. Au fil des chapitres et de ses rencontres, la passion pour cet art prendra une place majeure dans le roman. Faisant partie intégrante de son histoire, son Rolleiflex qui cèdera plus tard sa place à un Leica, fera partie intégrante de Violet. Un complice qui nous la dévoilera toujours un peu plus bien que se soit elle qui se cache derrière l'objectif.


Comme ces romans mettant en scène l’histoire d’un artiste reconnu, le parcours d’Eliza nous redonne l’envie de parcourir les clichés des photographes célèbres et de redécouvrir leurs œuvres. Il y a l’évocation de Robert Doisneau, bien sûr, grâce à la présence d’un certain Robert Cermak de Ménilmontant. Mais pas seulement. Le travail d’Eliza est si bien évoqué qu’on souhaiterait pouvoir tenir en main ses clichés pour retracer son parcours en version illustrée.



Gaëlle Nohant joue, en outre, subtilement avec les époques. Chicago, qui symbolise à un moment le passé d’Eliza, est également synonyme d’avenir.

Le passé, l’avenir. Mais le présent ? Le présent, entrecoupé de souvenirs marquants, se glisse doucement entre ces villes miroirs que sont Chicago et Paris, ces lieux de retour, de départ. Un nouveau départ que Violet continuera ardemment désirer entreprendre pour retrouver son fils qui a grandi, qu’elle ne connaît plus.


Ce retour tant attendu à Chicago dix-huit ans plus tard, illustré dans la seconde partie du roman, m’a laissée plus dubitative. Le récit se poursuit, ses chapitres se succédant pour laisser place à une sorte de document-fiction. Nous sentons très bien la volonté de l’auteure de vouloir offrir à sa protagoniste un décor dans lequel elle pourra se déployer et s’affirmer comme reporter-photographe. Mais elle contraste fortement avec le côté plus intime et introspectif des débuts.


Je m’attendais à un retour plus serein, sans doute plus sage, plus contemplatif et plus distancié de l’arrière-plan politique. Son ambition l’honore mais j’ai eu la sensation qu’elle s’emparait d’un combat qui ne lui était plus destiné. Une nouvelle Eliza a cherché à se révéler mais Violet m’a manqué ainsi que sa vie parisienne.


Il n’en reste pas moins que ce quatrième roman de Gaëlle Nohant vaut le détour. Enrichissant, immersif, il ne peut laisser indifférent. Le personnage de Sam Brennan évolue de façon judicieuse et avec le retour de Violet à Chicago, nous faisons en fin connaissance avec les membres de son passé.


Le lien unissant Eliza à son père et symbolisé par le Rolleiflex m’a rappelé par moments Ne criez pas sur l’oiseau moqueur d’Harper Lee. Tel Atticus Finch en Alabama, Arthur Bergman désire éveiller la conscience de sa fille à l’égard de l’injustice subie par les habitants des ghettos de Chicago. A cette fin, Gaëlle Nohant s’est attachée à mettre en lumière un versant moins connu de la ségrégation, celle exercée en l’absence de tout corpus législatif et reposant sur des mécanismes beaucoup plus subtils.


A l’aide d’une documentation riche et détaillée, l’auteure de La part des flammes a réussi à mettre en lumière le destin fictif d’une femme éprise de liberté en l’englobant dans une réalité historique qui prendra néanmoins le dessus sur son histoire personnelle.



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